NEWSLETTER N°25 // DES SIGNAUX POSITIFS APRES LA CRISE

La pandémie de coronavirus a mis le monde à l’arrêt, révélant les failles d’une économie à repenser. La Filière Française du Cuir, bien que brutalement affectée, a fait preuve de solidarité, de réactivité, de responsabilité. Elle se remet en marche dans un environnement sécurisé, concentrée sur les défis à relever pour appréhender le monde de demain.

 

EDITO // « Réindustrialiser pour s’émanciper »

Frank Boehly, Président du Conseil National du Cuir
Frank Boehly, Président du Conseil National du Cuir
Crédits : 
Patrick Alves

La Filière Française du Cuir dispose de nombreux atouts pour rebondir après le choc sans précédent de la pandémie mondiale. Frank Boehly, président du Conseil National du Cuir, analyse la situation par secteurs, recense les actions solidaires et constate les forces et les faiblesses de notre filière.

Quel est l’état des lieux pour les professionnels français du cuir ?

Le secteur industriel a été largement impacté par les mesures de confinement mais à des degrés divers. A l’amont de la filière, les collecteurs de peaux sont restés très actifs. Ils ont joué un rôle d’intérêt national car ils ont empêché les abattoirs d’être engorgés et bloqués dans leur fonctionnement. Or les abattoirs pourvoient à l’alimentation de la population. En revanche, l’activité de négoce des collecteurs a été suspendue. L’impossibilité d’ouvrir et de certifier des unités de stockage supplémentaires a démontré l’incapacité de l’administration française à réagir de manière dynamique à une situation imprévue. En aval de la collecte, la tannerie mégisserie a fortement réduit son activité (25-30%), mais avec une grande disparité. Les indépendants ont globalement continué à travailler, mais à un niveau réduit, tandis que les entreprises contrôlées par les grands groupes étaient toutes à l’arrêt pendant les premières semaines de confinement. La maroquinerie a été relativement épargnée (40-45% d’activité) même si les ateliers des groupes de luxe étaient également fermés. Les sous-traitants, très nombreux sur le territoire, ont pu honorer leur carnet de commandes. La chaussure a subi un très fort ralentissement, son taux d’activité était de l’ordre de 10-15%. Son business model n’est pas celui de la maroquinerie. Il repose faiblement sur l’export (30%) et son principal débouché est constitué par le réseau de distribution français composé majoritairement de détaillants. La chaussure a donc été fortement impactée, les commerces ayant été totalement fermés durant deux mois. Déjà extrêmement fragilisé par les mouvements sociaux successifs, le secteur de la distribution est celui qui a le plus souffert dans notre filière.

Face à la pandémie, la mobilisation s’est organisée. Quelles sont les initiatives les plus significatives au sein de la filière ?

Beaucoup d’entreprises ont dû ralentir leur activité parce qu’elles n’avaient tout simplement pas de matériel de protection. On a beaucoup dit que l’Etat aurait dû approvisionner tout le monde… Mais, même si elles sont passées totalement inaperçues, les réformes de 2013 précisent que la protection sanitaire des secteurs économiques, quels qu’ils soient, relève de leur responsabilité. Pour soutenir les entreprises, face à la pénurie de matériel de protection, le Conseil National du Cuir a décidé de prendre en charge la fourniture en masques et gels de toute la filière, 360 000 masques lavables et 11 000 litres de solution hydro alcoolique ont été fournis aux entreprises. L’approvisionnement et la distribution ont nécessité un budget de près d’1,5 million d’euros.

Le CNC est loin d’être le seul à s’être mobilisé. Un grand nombre d’entreprises se sont engagées sur le terrain et ont fait preuve de solidarité et d’agilité en adaptant leur outil de production. L’entreprise de produits chimiques ATC, par exemple, a commencé à produire et distribuer du gel hydro alcoolique aux établissements hospitaliers de la région lyonnaise avant d’en faire son activité principale durant le confinement. Le groupement «Savoir faire ensemble » a aussi fédéré plus de 800 entreprises de la filière Mode&Luxe pour fabriquer masques et surblouses. Enfin, CTC a pris des mesures spécifiques afin de soutenir les entreprises pendant la crise sanitaire. Des aides ciblées ont été adoptées, parmi lesquelles :

1000€/entreprise pour s’équiper en matériel de protection
le plafond du dispositif Cuir&Savoir-Faire est passé à 15 000€ au lieu de 7 000€ prévu pour 2020. Cette aide sert notamment à rémunérer les formateurs internes et externes
un financement complémentaire de 8 000€ a été proposé pour renforcer la communication digitale.

Quels enseignements tirez-vous de cette crise ?

La crise sanitaire a illustré la grande faiblesse de l’industrie française, ce qui fut évident pour les masques l’est tout autant pour les médicaments, le secteur automobile ou celui de l’équipement de la personne. Fonctionner comme on l’a fait jusqu’à maintenant à flux tendus dans tous les secteurs a démontré ses limites. Il est essentiel de se mobiliser pour favoriser le made in France et gagner en autonomie. Beaucoup de grands groupes de luxe ont relevé le pari de fabriquer leur maroquinerie sur le territoire français. La crise a prouvé le bien-fondé de cette stratégie. Sa grande réussite se constate à l’international : la maroquinerie française exporte 95% de ses produits. Pour beaucoup d’entreprises françaises, le salut se trouve dans l’export.

La dépendance à l’égard des pays tiers est une question complexe. Sans délocalisation, l’industrie de la chaussure n’aurait pas survécu, mais elle n’a pas su se remettre suffisamment en question dans une économie mondialisée. Les sneakers, qui constituent plus de 50% de la consommation de chaussures en France, sont massivement importés et le consommateur a pris l’habitude de produits à bas coûts, dopés par une main-d’œuvre très bon marché et des règles sociales ou environnementales peu contraignantes. Le consommateur français, européen, voire occidental n’a plus aucune idée du coût réel d’un produit. Il faut bien-sûr réindustrialiser, mais il va falloir éduquer le consommateur, ce qui ne sera pas une mince affaire dans un pays où l’une des principales revendications sociales est l’augmentation du pouvoir d’achat…

La pandémie soulève des questions de fond que sur lesquelles les différents acteurs de notre filière ont déjà travaillé. Nos livres blancs proposent certaines mesures pour aider les entreprises à relocaliser et doper la compétitivité d’une offre française. Parmi elles, l’innovation, le transfert de nouvelles technologies, la poursuite d’une démarche RSE (traçabilité, recyclage et traitement des déchets, amélioration des conditions de travail),  un recrutement plus attractif… La filière travaille à la création d’un laboratoire technologique du futur pour soutenir le secteur industriel et une campagne de communication nationale est en cours pour donner une image positive de nos métiers et promouvoir  la durabilité du cuir. Certains chantiers dépendent de l’Etat, comme l’allègement des mesures fiscales et une règlementation simplifiée. D’autres relèvent des entreprises et d’une prise de conscience collective. Croire en un « Etat Providence » freine les initiatives et une règlementation tatillonne complexifie la tâche des acteurs économiques face à la concurrence internationale.

Nous pouvons cependant conclure sur un constat très positif pour notre filière. La France a la chance d’avoir conservé des savoir-faire reconnus dans le monde entier et le positionnement haut de gamme nous permet d’échapper à la tyrannie du coût. Le capital humain, la production de produits de grande qualité, la réussite à l’international et l’excellence de nos entreprises guident la filière sur le bon chemin.

 

VIE DE LA FILIERE // DETAILLANTS CHAUSSEURS ET MAROQUINIERS, DONNER CONFIANCE AU CONSOMMATEUR

La sortie du confinement a placé les professionnels de la distribution face à des défis inédits. La sécurité sanitaire doit obéir à un protocole très strict.

Le 11 mai 2020 a marqué la réouverture au public de tous les commerces. La Fédération des Détaillants en Chaussures de France (FDCF), la Fédération Nationale des Détaillants Maroquinerie et Voyage (FNDMV) et la Fédération des Enseignes de la Chaussure (FEC) ont collaboré au sein du Conseil du Commerce de France afin de sécuriser les espaces de ventes. Un recueil de bonnes pratiques sanitaires a été validé au plan  national. Il s’appuie sur des consignes systématiques pour protéger le personnel autant que le consommateur : distanciation physique, port du masque, nettoyage des mains, désinfection régulière du mobilier, de l’équipement d’encaissement… Autant de gestes barrières appliqués scrupuleusement dans les points de vente spécialistes du cuir. La maroquinerie, et encore plus la chaussure, sont des produits liés à l’équipement de la personne particulièrement intimes. « Les maroquiniers ont été vraiment consciencieux dans l’aménagement des magasins, afin de protéger les clients et les salariés, rapporte Sophie Brenot, présidente de la FNDMV. Certains ont mis en place un service de livraison ou de prise de rendez-vous pour retrait après achat sur les réseaux sociaux ou site internet afin de limiter le nombre de clients en magasin ». Chez les détaillants chausseurs, les mesures mises en place ont réellement contribué à « rassurer ». L’essayage est pratiqué avec le port de mi-bas jetables et les paires essayées « reposent » avant d’être remises en vente. « Les paires retournées sont passées à la vapeur avec un spray antibactérien et attendent 24H avant leur remise en boîte », complète Sandrine Garcin, présidente de la FDCF. Partisante du commerce de proximité, elle voit dans la crise l’opportunité de « miser sur le local ». Redonner confiance au consommateur en valorisant le savoir-faire en magasin.

 

EVENTS RSE // LE SUSTAINABLE LEATHER FORUM CONFIRME POUR SEPTEMBRE 2020

Malgré les effets démobilisateurs des mesures sanitaires, le Conseil National du Cuir confirme l’organisation à Paris le 14 septembre prochain de la seconde édition du Sustainable Leather Forum, adossé au salon Première Vision.

La Filière Française du Cuir réaffirme son engagement en faveur de la RSE. Rdv le 14 septembre 2020 pour la deuxième édition du Sustainable Leather Forum
La Filière Française du Cuir réaffirme son engagement en faveur de la RSE. Rdv le 14 septembre 2020 pour la deuxième édition du Sustainable Leather Forum
Crédits : 
CNC

La Filière Française du Cuir est pleinement engagée au sein d’une économie de marché responsable. Le premier Symposium international avait offert, en 2019, l’occasion unique de dresser un état des lieux, riche et varié, en matière de cuir durable respectueux de l’environnement et de faire le point sur la démarche RSE des entreprises de la filière cuir, aussi bien en France qu’à l’étranger. Son acte II se déroulera à la fin de l’été dans l’enceinte du Conseil économique, social et environnemental, où seront mis en œuvre distanciation et gestes barrières en vigueur à ce moment-là. Professionnels de tous les métiers du cuir en activité, experts reconnus, organismes institutionnels français et européens pourront débattre de l’avenir des métiers du cuir, de leurs perspectives et de leur éco-responsabilité, alors que le milieu de la mode accélère sa mobilisation. La Responsabilité Sociétale Environnementale avait largement irrigué les échanges lors de la première édition. Elle sera cette fois développée et approfondie à la lumière de la crise du Covid-19, qui a mis à l’arrêt bien des stratégies établies au plan mondial. La filière du cuir ne saurait sortir de la pandémie et reconstruire l’avenir sans faire de la RSE un moteur à tous les niveaux. La première des tables rondes portera sur la gestion des risques, « un sujet majeur qui concerne tous les entreprises, précise Frank Boehly, à la tête du Conseil National du Cuir, même si la crise sanitaire n’était pas jusqu’alors le premier risque envisagé ». Il sera question de sourcing mondialisé, de supply chair à sécuriser, d’innocuité ou encore de règlementation internationale. Autant de points qui comptent parmi les enjeux d’avenir. Suivront tout au long de la journée, les derniers développements intéressant l’amont et l’aval de la filière toute entière : bonnes pratiques et innovation au niveau de la peau brute et de la tannerie, économie circulaire dans la chaussure et la maroquinerie, labels, attractivité des savoir-faire, formations territoriales… Le secteur du cuir met en avant ses expertises pour entrer de plein pied dans le monde de demain.