LE CUIR AU SENAT AVEC LA MODE

frank_boehly-senat-taxe_affectee.jpg

Frank Boehly au Sénat pour défendre la taxe affectée
Frank Boehly au Sénat pour défendre la taxe affectée
Crédits : 
CNC

Professionnels français du cuir et de la mode, de l’artisanat et de l’industrie ont débattu au Sénat à Paris lors d’un colloque intitulé « Industrie de la mode et métiers d’art : savoir-faire, formation, innovation et compétitivité - Un pilier de l’économie française ». Le Palais du Luxembourg a réuni 250 experts du secteur qui ont partagé inquiétudes et perspectives. Une première dont la filière attend beaucoup.

Guillaume de Seynes, Président du comité stratégique de filière des industries de la mode et du luxe et Directeur général d’Hermès a rappelé en préambule le poids économique de la mode en France et dans le monde. « C’est un secteur où la France a le leadership absolu grâce à son histoire et à sa tradition des savoir-faire ancrée sur tout le territoire. Ce n’est pas si fréquent. L’exportation est très dynamique. La tendance mondiale est porteuse. Nos atouts sont réels mais la formation constitue un enjeu décisif. Nous sommes en croissance. Recruter est impératif. Nous devons attirer les jeunes vers nos métiers, soutenir et accompagner les jeunes créateurs, aider les entreprises en direction du développement durable. Notre filière industrielle doit se renforcer, évoluer ».

 

La transmission des savoir-faire au cœur des territoires

Mode et savoir-faire sont étroitement liés. Lyne Cohen-Solal, Présidente de l’Institut National des Métiers d’Art en est convaincue. « La France est un pays à part, unique en matière de mode. L’INMA a répertorié 281 métiers d’art répartis en seize domaines. La France est le seul pays avec le Japon à mener une politique nationale de soutien à l’artisanat d’art. Les résultats sont probants. Nos industries du luxe sont nées des métiers d’art. La mode tire la France à l’international. Notre pays doit fertiliser cet écosystème et en être fière. Nos métiers d’art ont besoin de modèles économiques viables pour se développer. Car un savoir-faire, qui n’évolue pas, meurt. C’est un défi à relever à échelle européenne ». Arnaud Haefelin, Président de la Fédération Française de la Maroquinerie et PDG de Gainerie 91, a alerté sur le savoir-faire maroquinier dont l’essor pourrait être menacé. « Les métiers d’art sont pénalisés par le plafonnement de la taxe affectée. La maroquinerie française à elle seule se compose de neuf savoir-faire d’art. Comment former si l’Etat ampute notre budget formation ? Or, elle se porte bien avec une moyenne annuelle de 1000 nouveaux emplois d’artisans d’art dans de nombreuses régions ».

 

Les enjeux de la formation

Dans une économie en totale transformation, la formation joue un rôle décisif. Stratégique même, selon Pascal Morand, Président exécutif de la Fédération Française de la Haute Couture et de la Mode. «Notre secteur est un laboratoire de créativité. La compétitivité dépend complètement des compétences. Aujourd’hui, l’Institut Français de la Mode et La Chambre Syndicale de la Couture se rapprochent pour proposer une formation complète du CAP au doctorat. Notre écosystème doit être le plus fort possible. Le millier de nouveaux emplois par an en maroquinerie prouve que la formation technique est fondamentale. L’intégration croissante de personnes venant d’autres secteurs doit être aussi prise en compte par les entreprises. C’est un process complexe et coûteux ». Marc Pradal, Président national de l’Union Française des industries Mode et Habillement et Président de Kiplay, a souligné l’importance des besoins. « Seuls les ateliers, qui se sont adaptés à travers une spécificité et en accompagnant le luxe, ont pu résister. L’Education Nationale et les entreprises doivent travailler ensemble pour repenser une vraie politique nationale de formation. Notre secteur se trouve en concurrence avec tous les métiers. Il faut être bon pour attirer les jeunes. La réforme des OPCA (Organisme Paritaire Collecteur Agréé) nous inquiète. Les chantiers pourtant sont nombreux : relever le niveau technique, développer des pôles d’excellence, former les formateurs en entreprise…

 

Le financement des outils

Le Projet de Loi de Finance 2019 prévoit une baisse de budget des Comités Professionnels de Développement Economique de la filière. Patrice Besnard, Directeur délégué de France Industries Créatives, a rappelé le périmètre des taxes affectées mises en place par la filière pour accompagner son développement. « Les taxes affectées sont des outils originaux destinées à aider PME et TPE. Elles n’existeraient pas sans les professionnels. Leur périmètre d’actions est large. Elles soutiennent la recherche, l’innovation, la promotion, la préservation du savoir-faire, l’export comme la récente exposition du cuir français à Séoul.  Elles corrigent aussi les défaillances du marché. L’outil fonctionne, maintenons-le ». Lucien Deveaux, Président du Défi Comité Professionnel de Développement Economique de l’Habillement et Président du Groupe Deveaux, s’est fait le porte-parole du Défi. « Il nous permet d’aider les jeunes créateurs. La jeune génération est indispensable pour accompagner les grandes marques. Elle constitue un vivier permanent de renouvellement ». A la tête du Conseil National du Cuir et Vice Président du Centre Technique du Cuir, Frank Boehly défend de longue date la taxe affectée comme étant « le levier économique des entreprises françaises du cuir. Son plafonnement a été instauré en 2011 pour contrôler les organismes. Les plafonds devaient rester supérieurs aux collectes. Ils n’ont pas été revus, diminués au contraire. La filière cuir, l’une des plus dynamiques de notre pays, subit ses effets depuis 2013. Comment nous moderniser si l’Etat limite les ressources de nos entreprises ? La baisse du plafond remet en question les grands projets que s’est fixé la filière française du cuir, comme la traçabilité des peaux, la digitalisation, la formation, l’export … Les industriels sont unanimement opposés à cette mesure ».

 

Performances et leadership en jeu

Pierre-François Le Louët, Président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin et Président de l’agence Nelly Rodi a qualifié cette rencontre placée sous l’égide de l’économie, de la mode, du savoir-faire de « moment historique. Il n’y a jamais eu autant de professionnels réunis dans un colloque autour de la mode. Le PLF 2019 risque de fragiliser notre écosystème. L’export, en hausse continue depuis huit ans, représente le salut. Il compense le fléchissement du marché national ». Sophie Primas, Sénatrice des Yvelines et Présidente de la commission des affaires économiques a résumé les idées clés exprimées par l’ensemble des intervenants. « La filière, avec ses grands groupes et sa majorité de petites entreprises, joue un rôle moteur dans l’économie. Je suis frappée par leurs besoins en matière de formation. Nous ne pouvons pas continuer à désertifier notre territoire. Le coût de l’apprentissage est un sujet important. Je retiens l’idée de la défiscalisation des formateurs qui va dans le sens de la professionnalisation. On ne peut pas éternellement demander aux régions, aux entreprises, aux collectivités territoriales, aux professionnels de faire des efforts. La taxe professionnelle doit être affectée aux entreprises. Son écrêtement est du vol et une atteinte aux forces vives du secteur. On doit avoir le courage, dans notre pays, de mener une réforme fiscale globale ».